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LOVEBANDS HAWAÏENS : UNE HISTOIRE D'AMOUR LOCALE

On connaît tous, ou presque, sa voix. Celle d’Israel Kamakawiwo’ole, dit "IZ". Une voix suspendue dans l’air, aussi douce que vaste, portée par un ukulélé délicat. Une voix qui a traversé les océans, grâce à un medley devenu viral. Pour beaucoup d’entre nous, c’est le premier - et parfois le seul- contact avec la musique hawaïenne. Elle évoque la paix, l’évasion, un imaginaire presque hors du temps. Mais derrière cette voix se cache tout un monde musical, bien vivant, bien ancré. Un monde que peu connaissent vraiment.

À Hawaï, on chante l’amour autrement. Il ne s’écrit pas seulement dans les studios ou les charts, mais dans les arrière-cours, les plages à la tombée du jour, les salons où l’on joue pieds nus. On l'entend dans les harmonies à trois voix, les grooves ronds d’une basse reggae, les mélodies fredonnées en famille. Les lovebands, comme on les surnomme parfois, sont les gardiens de ce langage musical insulaire. Pas un genre codifié, mais une manière d’habiter la musique. Une esthétique. Une ambiance.

Island music : entre héritage et hybridation

La tradition musicale hawaïenne s’est toujours construite dans le mélange. Le ukulélé, introduit par des immigrants portugais au XIXe siècle. La guitare slack-key (ki ho‘alu), accordée de manière ouverte et influencée par les musiciens mexicains. Le chant polyphonique hérité des mele (chants traditionnels hawaïens, souvent poétiques ou cérémoniels). À tout cela se sont ajoutés, au fil des décennies, le reggae jamaïcain, le R&B américain, le soft rock californien. Le résultat : une forme musicale hybride, douce, chaleureuse, toujours à fleur d’émotion.

Un moment clé dans cette histoire: le concert de Bob Marley à Honolulu en 1979. Un événement unique, mais marquant. Pour beaucoup de musiciens locaux, ce fut une révélation. Marley incarnait une idée forte : que la musique insulaire pouvait être à la fois enracinée, mondiale, porteuse de messages sociaux et spirituels. Dans son sillage, un nouveau genre est né : le Jawaiian, mélange de reggae et de rythmiques locales, devenu l’un des socles du son hawaïen contemporain. Et dans cette mouvance, les love songs ont trouvé une couleur nouvelle : à la fois douces et conscientes.

Ce qu’on appelle island music ou local music à Hawaï n’a pas de frontières nettes. Un morceau peut commencer comme une ballade, glisser vers un rythme reggae, et s’achever sur une harmonie vocale digne d’un gospel. C’est ce mélange qui fait toute la richesse des lovebands. Leur langage n’est pas celui du marché : c’est celui du vécu.

Une culture musicale familiale

Ici, les groupes se forment entre cousins, entre voisins, entre amis d’enfance. On joue parce qu’on a toujours joué. Parce que l’oncle avait un groupe. Parce que la tante chantait dans l’église. Parce que la guitare traînait là, posée sur le canapé. La musique est partout, et surtout dans les liens. Les lovebands ne se contentent pas de produire des morceaux : ils accompagnent les moments-clés de la vie. Mariages, funérailles, anniversaires, fêtes improvisées. Leur rôle dépasse celui du simple divertissement. Ce sont eux qui chantent quand on n’a pas les mots. Ceux qui transmettent ce qui se dit mal. Ceux qui unissent.

Ce lien trouve aussi ses racines dans l’esprit aloha. Bien plus qu’une salutation, aloha désigne un principe de vie : amour, respect, compassion, harmonie. C’est une valeur fondatrice à Hawaï, inscrite jusque dans la loi. On le retrouve dans la manière de vivre ensemble, d’enseigner, et bien sûr… de faire de la musique. 

Scènes, lieux, moments

Contrairement à d’autres scènes musicales urbaines, la culture des lovebands est profondément diffuse. Pas de grands labels, peu de festivals internationaux. Mais des scènes locales vivantes : les bars de Kailua-Kona, les concerts de quartier à Hilo, les plateaux en plein air sur Oʻahu. Des performances enregistrées à l’iPhone, partagées sur YouTube ou TikTok, qui circulent dans la diaspora hawaïenne à Vegas ou en Californie. Et toujours ce lien fort avec le réel : cette musique n’existe pas sans la chaleur humaine autour.

Parmi les espaces en ligne qui documentent cette scène avec une grande fidélité, la chaîne YouTube HI*Sessions joue un rôle essentiel. Elle propose des live sessions filmées en haute définition dans des décors naturels somptueux.

Comme dans toute scène ancrée dans une culture locale forte, des tensions existent. Entre la volonté de préserver une forme d’authenticité communautaire et l’exposition croissante liée au tourisme ou à la mondialisation numérique, les équilibres sont fragiles. Certains artistes naviguent avec soin entre ancrage et visibilité, tandis que d’autres cherchent à percer dans une industrie musicale globale souvent peu sensible à la singularité de leur proposition.

Des artistes à découvrir, une scène à explorer

Quelques noms incarnent cette scène dans toute sa diversité. Ekolu, pionnier de la fusion reggae-love song. Kapena, véritables légendes familiales. J Boog, né en Californie mais profondément lié à la culture locale. Fiji, voix puissante entre soul et roots reggae. Maoli, mélange de sensibilité pop et de textures insulaires. Kolohe Kai, qui touche avec des mélodies simples, spirituelles et accrocheuses. Kimié Miner, Anuhea, Paula Fuga : des artistes qui marient tradition et modernité, souvent en anglais, parfois en hawaïen, toujours avec cette générosité émotionnelle qui marque cette musique.

La scène hawaïenne actuelle continue d’évoluer grâce à une nouvelle génération d’artistes qui perpétuent l’esprit des lovebands tout en le renouvelant. Des groupes comme High Watah, originaire de Molokaʻi, incarnent cette relève : une technique vocale très R&B, une musique solaire, harmonieuse, ancrée dans les codes insulaires tout en dialoguant avec des influences plus contemporaines. Leur énergie, leur sens du collectif et leur proximité avec le public jeune en font des symboles vivants d’une culture en mouvement.

Une esthétique visuelle et émotionnelle

L’image compte autant que le son. Les clips sont souvent tournés à la golden hour, sur fond d’océan ou de montagnes. Les pochettes d’album alternent entre portraits intimes et paysages symboliques. Pas de surproduction ici : la sincérité prime. On montre les corps tels qu’ils sont, les familles, les sourires francs, les danses improvisées.

Cette musique raconte autant ce que l’on voit que ce que l’on ressent. Elle n’est jamais agressive. Elle enveloppe. Elle prend son temps. Et dans ce monde de saturation sonore, c’est peut-être là qu’elle devient essentielle.

Une invitation à tendre l’oreille

Écouter les lovebands hawaïens, c’est entrer dans une autre temporalité. Celle des refrains transmis de génération en génération. Des voix qui s’accordent sans chercher la perfection. D’une chaleur sonore qui ne s’impose jamais, mais qui s’installe doucement.

Il ne s’agit pas de consommer une tendance, mais d’explorer un territoire. Celui d’une musique locale, ancrée, vivante, profondément humaine. Alors oui, on connaît IZ. Mais si on allait plus loin ? Si on se laissait surprendre par ce que la scène hawaïenne continue de faire créer, loin des radars ? Il y a là un monde à découvrir. Ouvrons grands les oreilles.