ITALO-DISCO : REVES ELECTRONIQUES SOUS LE SOLEIL DE RIMINI
by Arthur Samier
Le 6 juillet 2024, Pino D’Angiò s’est éteint à l’âge de 71 ans. Grâce à son titre mythique "Ma Quale Idea", sorti en 1980, le chanteur a posé l’une des premières pierres d’un style qui s’apprêtait à inonder l’Europe de synthétiseurs : l’Italo-Disco. Longtemps reléguée au rang de curiosité kitsch des années 80, cette musique est aujourd’hui reconnue comme une matrice essentielle de la pop électronique contemporaine. Son histoire, jalonnée de tubes improbables, de synthés criards et de refrains chantés en anglais approximatif, mérite plus que l’ironie qu’on lui a parfois réservée.
Disco, Dolce Vita et circuits imprimés
Fin des années 70, alors que New York vibre au son du Paradise Garage et que Chicago esquisse les premières lignes de la house, l’Italie expérimente. La naissance de l’Italo-Disco s’inscrit dans le sillage de la vague disco américaine, mais avec un ancrage profondément local.
Née dans les studios artisanaux de l’Italie du Nord, à la croisée du glamour milanais et des plages de Rimini, cette musique a su imposer une esthétique kitsch, sans doute, mais assumée, où l’excès devenait élégance et le mauvais goût, un style. À Milan, Rimini ou Vérone, une poignée de producteurs et d’arrangeurs bricolent, dans des studios souvent artisanaux, un son inspiré du disco US mais teinté de romantisme européen. Faute de musiciens live, on s’appuie sur les synthétiseurs analogiques, les boîtes à rythmes et les vocodeurs. On enregistre vite, souvent à bas coût, avec une urgence presque punk. Le résultat ? Une musique dansante, mélodique, naïve et futuriste, qui séduit les DJs allemands, français, hollandais et bientôt, les clubs du monde entier.
Pino D’Angiò, crooner cybernétique
Dans cette effervescence, Pino D’Angiò fait figure d’ovni. “Ma quale idea”, sorti en 1980, est un ovni italo-funké, où il parle plus qu’il ne chante, sur une ligne de basse empruntée aux McFadden & Whitehead (Ain’t No Stoppin’ Us Now). Le morceau se diffuse dans toute l’Europe, et se vend à plus d’un million de copies.
Là où d'autres surfent sur le romantisme sucré ou les fantasmes retro-futuristes, D’Angiò cultive l’ironie, l’élégance et une forme de second degré très italien. Il arrive sur scène de la même manière qu’il pose sur ses pochètes de vinyles : cigarette ou coupe de champagne à la main, costume en lin ou veste en cuir, le col toujours relevé.
Une constellation de figures culte
Si D’Angiò a marqué l’imaginaire collectif, il n’est qu’un des visages d’un courant tentaculaire. L’Italo-Disco, ce sont des centaines de maxis, souvent publiés à la chaîne par des labels comme Discomagic, Zyx Music, Il Discotto ou Baby Records. Quelques noms sortent du lot : Gazebo, avec “I Like Chopin” (1983), fait de la mélancolie un tube mondial. Ryan Paris, et sa “Dolce Vita”, bande-son éternelle des étés européens. Klein & MBO, pionniers du son proto-house avec “Dirty Talk”. Savage, dont “Don’t Cry Tonight” incarne la face sombre et romantique du genre. Ces morceaux sont aujourd’hui recherchés, réédités ou samplés par les diggers et les DJs du monde entier.
L’Italo : entre caricature et réhabilitation
Dans les années 90, l’Italo-Disco tombe dans l’oubli. Jugée ringarde à l’ère de la techno et de l’eurodance, elle devient une blague de DJ ou une relique de fête foraine. Mais dès les années 2000, un mouvement de réhabilitation s’amorce. Des labels comme Clone, Bordello A Parigi ou Italo Moderni, Toy tonics redonnent vie aux pépites oubliées. Des artistes comme DJ Hell, The Hacker, Vitalic, Lauer, ou Italoconnection se revendiquent de ce mouvement musical.
À Berlin, Paris, Tokyo ou Séoul, les soirées Italo Revival affichent complet. Des morceaux comme “Spacer Woman” de Charlie ou “Tumidanda" de Franck Tavaglione deviennent des classiques de la scène underground.
Un héritage synthétique et global
Aujourd’hui, l’Italo-Disco infuse toute une frange de la pop électronique. On en retrouve les échos chez The Weeknd, Jessie Ware, Christine and the Queens, MGMT, ou Róisín Murphy. Les productions de la scène synthwave, mais aussi une partie de la house indie, doivent beaucoup à l’Italo : une certaine idée de la nuit, élégante et électronique.
L’Italo-Disco n’a jamais cessé de dialoguer avec le futur. En assumant son esthétique rétro-futuriste, en revendiquant son artifice, elle a ouvert la voie à une musique électronique moins clinique, plus charnelle, où les machines pleurent et dansent à la fois.
Si l’Italo-Disco a parfois ressemblé à une usine à tubes synthétiques, elle fut surtout le théâtre d’un imaginaire électro-pop profondément singulier. Une utopie dansante, solaire et un brin mélancolique, qui opposait à la froideur technoïde des années 90 une vision sensuelle, accessible, presque candide de la fête. Avec trois synthés bon marché, une ligne de basse recyclée, et ce je-ne-sais-quoi qu’on appelle sprezzatura, l’Italo-Disco a rappelé au monde que danser pouvait être un acte léger, mais jamais vain. Aujourd’hui encore, elle flotte dans les clubs comme une fragrance rétrofuturiste : familière et mystérieuse à la fois. Et si “Ma quale idea” continue à être autant mixé en club, ce n’est pas par nostalgie, mais parce qu’elle résume une vérité simple : la fête n’a pas besoin de gravité pour laisser une trace.