The beat behind the brands

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LE JOUR OÙ JOHN LENNON AURAIT PU JOUER GOLLUM

Par Mel Mougas

L’héritage de J. R. R. Tolkien, poète et écrivain britannique, continue de façonner nos imaginaires. Son œuvre principale, la trilogie Le Seigneur des Anneaux (1954), pierre angulaire de la fantasy moderne, fascine de génération en génération. Son adaptation cinématographique la plus célèbre, signée Peter Jackson et oscarisée en 2001, aurait pourtant pu avoir un tout autre visage…


En 1968, les Beatles sont déjà habitués aux caméras. Après Quatre garçons dans le vent (1964), Au secours ! (1965) et Magical Mystery Tour (1967), comédies musicales réalisées par Richard Lester pour les deux premières, et Bernard Knowles pour la troisième, le quatuor est bien décidé à continuer. Ils n'ont d’ailleurs pas le choix, étant sous contrat avec la société United Artists, à qui ils doivent un dernier film. Leurs précédents longs métrages, loin d’être du grand cinéma, se rapprochent plus de ce que l’on qualifierait aujourd’hui de fan service (pratique consistant à alimenter la passion des fans). Ils profitent de la beatlemania, et ça marche ! À leurs côtés, Denis O'Dell, producteur et directeur d’Apple Films, une division de la société Apple Corps, qu’ils fondent en 1968. O’Dell souffle l’idée d’une adaptation du Seigneur des Anneaux au groupe de Liverpool qui, comme une grande partie du monde à l’époque, se passionne de l’univers tolkienien. 

Le monde de Tolkien, fascination contre-culturelle 

Les livres de Tolkien ont mis du temps à séduire le monde. Près d’une décennie pour être précis. Peu adaptée au conservatisme post-Seconde Guerre Mondiale des années 1950, l’esthétique fantastique développée par le professeur d’Oxford, remplie d’elfes et de sorcier·ères, peine à s’imposer. Pourtant, l'œuvre trouve un nouveau souffle lors des sixties. L’ère du sex, des drogues et du rock’n’roll, terrain fertile de mutations sociales à travers le monde, avec les manifestations contre la guerre du Viêt Nam, les revendications féministes de la deuxième vague (entre 1960 et 1985) et autres mouvements progressistes, trouve dans Tolkien une nouvelle référence. Une lecture obligatoire pour les artistes, étudiant·es et acteur·ices du changement. Des slogans tels que “Gandalf pour président” ou “Frodon est en vie” se baladaient sur des pins et les murs graffés des grandes villes mondiales. 

@Tolkien Wonder - X

Pour cause, certains aspects du monde de Tolkien rejoignent les aspirations des hippies, des manifestant·es anti-guerre, des militant·es des droits civiques et autres personnes souhaitant changer l'ordre établi. En particulier : la prise de drogues ! En effet, de nombreux personnages de la Terre du Milieu se tournent vers les plantes hallucinogènes, comme les Hobbits de la Comté, avec leur psychotrope appelée "l'herbe à pipe", également consommée par Gandalf. L’univers fantastique et son histoire de bien contre le mal devient un étendard d’évasion et d’espoir dans la construction d’un monde plus juste, inspirant les productions culturelles de l’époque, notamment la musique…

LOTR The Fellowship of The Ring - Bilbo and Gandalf Smoking Scene / YouTube

En 1970, l'influence du Seigneur des Anneaux a transcendé les frontières de la littérature pour s'immiscer dans l'univers du rock, avec Led Zeppelin, Black Sabbath, et Genesis tissant des mélodies autour de l'œuvre. Dans "Ramble On" de Led Zeppelin, Robert Plant nous transporte dans les ténébreuses étendues du Mordor, région de la Terre du Milieu, avec des paroles captivantes : “Au cœur des abysses obscurs du Mordor, je croisai une femme d'une beauté éclatante. Mais Gollum, accompagné de l'ombre maléfique, se faufila sournoisement…” La même année, le groupe de rock continue d'explorer l'univers de Tolkien avec "Misty Mountain Hop" et "The Battle of Evermore", où les cavaliers noirs chevauchent dans la nuit, échos de la mythologie tolkienienne. De son côté, Black Sabbath rend hommage à Gandalf dans "The Wizard", une ode au sage magicien. Genesis, avec "Stagnation", capture l'esprit d'aventure et de mystère cher à Tolkien.

Deux ans auparavant, ce sont les Beatles qui découvrent la trilogie lors d’un voyage en Inde, décidés à l’adapter au cinéma. “John voulait que l’on achète les droits cinématographiques du Seigneur des Anneaux, c’était vraiment son idée” explique Paul McCartney dans le livre Beatles at the Movies (1996) de Roy Carr. Les Fab Four s’étaient même répartis les personnages, avec Paul McCartney dans le rôle de Frodon, Ringo Starr celui de Sam, George Harrison celui de Gandalf et enfin John Lennon celui de… Gollum.

Un projet qui peine à séduire

Pour la réalisation de leur film, qui se dessinait comme une comédie musicale, les Quatres garçons dans le vent voient grand ! C’est nul autre que Stanley Kubrick qu’ils appellent à passer derrière la caméra. Le réalisateur refuse, jugeant le Seigneur des Anneaux “inadaptable”. Le quatuor se prend un deuxième mur, et certainement le plus important, Tolkien s’abstient de leur céder les droits d’adaptation. “C’était quelque chose qui tenait à cœur à John [Lennon] et J.R.R Tolkien avait toujours les droits cinématographiques à cette époque, mais il n’aimait pas l’idée des Beatles dans le film. Alors, il a tué l’idée dans l’œuf”, explique Peter Jackson dans le livre The Rough Guide to the Lord of the Rings (2003). Pas de chance pour le groupe, qui devra abandonner le projet. Ironie du sort, la boîte de production United Artists est la première à récupérer les droits à Tolkien en 1969, donnant naissance à la première adaptation de la trilogie en 1978, combinant dessin animé et prise de vue réelle rotoscopée, réalisé par Ralph Bakshi. Les Beatles concluent leur contrat avec United Artists avec le documentaire musical culte Let It Be, qui sortira l’année de leur dissolution en 1970. Kubrick, lui, finit par réaliser l’un de ses plus gros succès : Orange mécanique (1971). 

Héritage de la légende 

Aujourd’hui, très peu de traces existent de ce projet d’adaptation. Bruits de couloir, extraits d’interview et fan fiction ont longtemps forgé la légende. Pourtant, avec l’arrivée de l'intelligence artificielle générative, l’histoire gagne un nouveau souffle. Des internautes se sont ainsi amusé·es à prompter l’IA pour qu’elle génère les images de ce film. Effectivement, avec les possibilités offertes par cette nouvelle technologie en matière de création musicale et visuelle, peut-être pourrons-nous, d'ici à quelques années, créer ce projet de toutes pièces ? 

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ARTICLEMariam Ouardi